Doit-on se taire face au racisme ? par Edwige Suzon

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Doit-on se taire face au racisme ? par Edwige Suzon

“I was raised to believe that excellence is the best deterrent to racism… And that’s how I operate my life.” ~Oprah Winfrey

D’abord, qu’est-ce que le racisme ? Le dictionnaire Robert le définit comme étant une théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres. Afin de décourager et de combattre cette idéologie, Oprah Winfrey prône l’excellence. En d’autres termes, quand on réussit à prouver aux « autres » qu’on est capable, ils n’ont d’autres recours que d’accepter de nous traiter en égal. En se basant uniquement sur la définition du racisme ci-mentionnée, si l’on doit exceller afin de se faire respecter, n’est-ce pas là une façon d’admettre intrinsèquement que l’on est « inférieur ? » D’ailleurs, qui impose les outils de mesure de cette excellence et pourquoi faut-il même se soucier de prouver à une autre race qu’on est brillant pour démontrer sa valeur ? Vous devez certainement vous demander où je veux en venir. En fait, il ne passe pas une semaine sans un évènement dans l’actualité qui nous pousse à discuter « race ». Le dernier en date est l’article « Tendance : Black Fashion Power, un style loin du street-wear » de Nathalie Dolivo, paru dans le magazine Elle du 13 janvier 2011. Personnellement, j’avoue que je ne me suis pas sentie attaquée par ce ramassis de préjugés. J’ai même beaucoup ri en le lisant. Avec les années, j’ai appris à ne pas accorder plus d’importance qu’il n’en faut à l’ignorance. Ceci dit, si individuellement je ne suis pas affectée par ce type de racisme déguisé ou inconscient, cela n’implique pas forcément que collectivement j’en sois exemptée. En effet, le racisme ouvert de la période coloniale ou du temps de l’esclavage a donné naissance à une nouvelle forme de racisme plus subtil et sournois qui offense pareillement : la micro-agression raciale.

Selon le psychiatre Chester M. Pierce, la micro-agression raciale se caractérise par de brèves et banales humiliations quotidiennes, comportementales ou environnementales, intentionnelles ou non, qui véhiculent des préjugés hostiles ou dérogatoires, et des insultes racistes envers les personnes d’autres races. Pour mieux étayer ce phénomène, laissez-moi donc vous présenter quelques situations de micro-agression raciale que j’ai plus ou moins vécues:

S1- Un jour, je faisais mes courses dans un supermarché en Arizona avec une amie lorsqu’une jeune femme blanche s’approcha de nous. Elle semblait déboussolée et nous sûmes vite pourquoi lorsqu’elle nous expliqua sa situation. La pauvre avait un rendez-vous amoureux avec un mec noir pour la première fois de sa vie, et ne savait pas quelle bière choisir pour le fameux tête-à-tête. Quoi de mieux que de poser la question aux premières « sœurs » noires du gars en question qu’elle rencontre? Elle semblait tout aussi perdue par ma réponse (« ai-je l’air de connaître ce mec dont tu parles ? ») qu’elle l’était la première fois qu’on l’avait aperçue. Apparemment, tous les Noirs se connaissent et ont les mêmes goûts ! Tous les singes aiment la banane, non ?

S2- Mon amie K., qui est noire, regardait l’émission télé America’s Next Top Model avec sa colocataire M. qui, elle, est blanche. Le panel des juges, comme à l’accoutumée, se met donc à critiquer une candidate noire. Celui-ci lui reprochait son air trop sérieux qui lui donnait toujours un air de fille fâchée. À ce moment précis, M. rétorque avec candeur et d’un naturel époustouflant : « À quoi s’attendent-ils ? Elle est noire ! » Le pire, c’est qu’elle regardait mon amie K., comme si elle attendait l’approbation de celle-ci avec un « Amen Sister ! » Je vous épargne les détails de ce qui s’en suivit.

S3- Un jour en France, plus précisément à Paris, en portant mon chèque de loyer chez ma bailleresse, elle commença à me raconter (se plaindre de) sa vie. Elle s’offusquait de la présence de plus en plus active de la racaille (noire et arabe) sur la Côte (d’Azur). Celle-ci, d’après elle, l’empêchait finalement d’aller jouir de ses vacances balnéaires annuelles comme d’habitude. Il fallait qu’elle change absolument de localisation et s’en remettait donc à moi pour lui faire des suggestions. Toutefois, toujours ébranlée par ses remarques, je lui demandai de m’expliquer ce qu’elle entendait par racaille, tout en lui rappelant que vu ma couleur de peau je pouvais en être une. Sa tentative d’explication ressemblait plus à un fouillis et j’en retins principalement deux choses : « tu n’es pas comme eux ; je t’aime bien toi, car tu es différente », « je parle de ceux qui sont toujours habillés comme des voyous ». Wow ! Le pire c’est qu’elle pensait me faire un compliment, alors qu’elle m’aurait jugée pareil si elle ne me connaissait pas. Je n’ose même pas parler de la fois où elle m’a demandé de lui rapporter des gris-gris du Cameroun !

Ce genre d’exemples, il y en a à foison. Alors, que faire ? Certains proposent de simplement ignorer ce type de racisme infraliminal et de continuer à travailler sans relâche vers l’excellence comme le préconise Oprah. De cette façon, le respect s’imposera de lui-même. En somme, si plusieurs Noirs, individuellement, atteignent les sommets de la gloire dans leur domaine de compétence (sciences, arts, sports…) respectif, cela aura une incidence positive sur la vision collective que l’on a du Noir. Bien que je comprenne l’idée derrière ce raisonnement, je me demande s’il est réaliste, dans la mesure où cela supposerait que les Noirs soient une entité solidaire. D’ailleurs de quels Noirs parle-t-on ? De ceux d’Afrique du Sud, du Brésil, de la France, ou des États-Unis ? ….

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Cet article a été rédigé par Edwige Suzon du blog Ora Magzine

Bio de Edwige : Le silence est d’or, mais je m’exprime quand même…
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