Un tendre récit de mon intégration par parties (parte tuou)

1999

Un tendre récit de mon intégration par parties (parte tuou) (Lire partie 1)

Peut-être même que je suis né/ Dans mon hamac

L’enfant de l’espoir s’en foutait. Lui, tout ce qu’il voulait c’était qu’il y ait tout plein d’adultes à la maison et continuer à bouffer sa colle Cléopatra tranquille.

Le frêle esquif avait finalement trouvé terre. Tout était si rose de prime abord en ce nouveau monde. Pas de milice armée, de mines anti-personnel, de lois liberticides et de disparitions inexpliquées… ça n’allait pas être facile pour des étrangers, mais au moins ici, on ne risquait pas sa vie pour un oui ou un non. Le soleil paraissait bien pâle pour les migrants du Sud, mais ils s’en sont contentés, et se mirent sans broncher à la besogne, en rangs d’oignons engloutis par des monstres d’acier et de technologie.

La douce enfance de la cour de récré se résumait à des siestes, des balles aux prisonniers, de la téloche et une palette ethnique qui prenait forme autour de moi. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : côtoyer Ladji, Sanae, Minggang et Yaelle en CM2 n’a jamais empêché de prendre sa carte au FN une fois devenu grand. Parce que dans le préau ou les couloirs de l’école, y avait pas de cadeaux entre voisins de cité ! Essaye donc de l’éviter la balayette vicelarde de cette petite raclure de Samir ! Ou bien tente de semer cette nuée de petits connards belliqueux après t’être pris un petit pont massacreur (souvenirs…) ! Et je n’oublie évidemment pas les saillies raciales que nous nous lancions entre gens « de couleur » ! L’enfant est cruel, il ne s’embarrasse pas de gants quand il veut faire mal.

Manifestement, les enfants se comportent comme des petits merdeux en milieu scolaire (moi, inclus). Mais la révélation interculturelle ne prit son essence lorsque je vins manger chez mes petits camarades rejetons d’immigrés: des copieux dîners qui sentaient bon l’olive de Kabylie, et les sermons bien disciplinés du darron Sénégalais adressés aux morveux assis en cercle sur le tapis moelleux du salon. Je me faisais petit et j’ouvrais mes sens, je découvrais des gens que l’on qualifiait comme moi d’étranger mais qui pourtant m’était culturellement si éloignés...

Pendant ce temps, les parents continuent toujours à bosser comme des bœufs pour que nous ayons des Chocapics dans nos bols, qu’on ne manque de rien, Dieu les bénisse. Fils de menuisier, fille d’ouvrier, enfants de balayeur, nous étions malgré tout le rejeton de quelqu’un, d’un Monsieur ou d’une Madame. Ça peut paraître anodin pour des blancs-becs comme nous, mais un titre, c’est déjà énorme pour qui a navigué à l’aveugle, toutes voiles devant. Nous ne mangions pas dans des assiettes en argent mais je n’ai jamais connu ni le froid ni la faim. Notre maison était autrement riche : c’était un bungalow sur des pilotis baignant dans un étang d’amour.

intégration par parties

Contre toute attente, la cruauté des camarades ne faisait pas même d’accrocs sur le drap de laine couvrant mon petit bonheur. L’enfant est plus fort qu’on ne le croit, il aspire au bonheur, et se crée sa bulle protectrice en s’amusant avec ce qu’il possède, c’est-à-dire rien. Tout bien réfléchi, il est beaucoup plus sélectif qu’à l’âge adulte, il a un sens des priorités différent : les emmerdes patientent sagement dans le vestibule de sa conscience.

J’étais pour ma part un enfant très craintif, de nature assez froide, flegmatique diraient les anglais, mais un poil indolent, dans sa bulle de naïveté. Mais, je n’étais pas malheureux, je pense qu’inconsciemment la vulnérabilité est un sentiment que l’on accepte plus facilement étant enfant car il n’existe rien de plus bouleversant que de se sentir protégé (par les plus grands). Avoir le plaisir universel d’avoir des parents qui vous aiment est déjà un bon départ dans la vie.

Un brin nostalgique d’une époque où chaque instant ressemble à une pluie d’amour, je me demande où atterrissent ces tendresses/gratouilles/mamours qu’hélas des souvenirs de grand remplacent au fil des saisons. La nature est bien foutue, je suis certain qu’il existe une planète lointaine incrustée de petites cases aux étagères remplies de ces beaux sentiments orphelins qui attendent avec impatience tous les enfants d’aujourd’hui et d’hier : pour Papa, pour Maman, pour Mamie, pour ceux qui ont été des enfants, pour les Grands qui ont grandi trop vite, pour Celui qui n’a pas eu la chance de rire. Son chemin se révèle la nuit lorsque les paupières des gens se ferment. Ouf, les belles choses ne se perdent pas, elles sont éternelles.

En tout cas, ce serait vraiment chouette !