Mon dimanche 6 mai à Solférino : Le changement c’est maintenant

1410

Mon dimanche 6 mai à Solférino : Le changement c’est maintenant. Chronique d’une folie (pas) ordinaire

Ligne 12 du métro parisien. Dans le wagon, une jeune femme est plongée dans son roman (un Zola, très certainement), elle ne fait pas attention aux gens autour d’elle, il faut dire qu’elle est totalement absorbée par les excitantes péripéties d’Octave Mouret, cela se comprend. Et pourtant, elle est une exception car, hormis les quelques touristes un peu béats, l’entièreté du wagon a le sourire jusqu’aux oreilles ! Certains de rouges vêtus trépignent d’impatience, d’autres une rose à la main, parlent de raclée légendaire, un groupe de jeunes complètement excités préfère rester debout, ils ne tiendraient pas en place de toute évidence. Soudain, le train s’immobilise à la station de métro « Assemblée Nationale », un arrêt avant le point de convergences de tous les cœurs. Et puis, sans mot dire, les trains se vident, le conducteur a dû faire une annonce incongrue, la station « Solférino » ne sera pas desservie en raison d’une affluence exceptionnelle. Qu’à cela ne tienne, il en faudra plus pour venir à bout de cet enthousiasme ! La réaction ne se fait pas attendre, un flot de voyageur se met à beugler en cœur, le quai est rempli de militants et de sympathisants qui marchent d’un pas victorieux, de ceux qui vont à la guerre la fleur au fusil. Premier frisson : cette foule virile et métissée qui s’avance s’empresse de rejoindre le QG pour le décompte final, il n’y a ni haine, ni rancœur, juste une formidable communion qui donne à chacun l’envie de s’extérioriser, pousser un ouf de soulagement. Ceci s’exprime par un râlement généralisé contre la RATP comme ce fut le cas ici présent (les parisiens détestent marcher), mais étonnamment cette complainte ne prenait pas sa source dans un cours de mécontentement, mais dans une humeur de colonie de vacances, en réalité cette « avarie » amusa plus qu’elle n’exaspéra, et toute cette fureur n’était que comédie. Nous sommes tous de grands enfants très joueurs. Et moi, je me pliais les côtes.

A la sortie de la bouche de métro, un maghrébin du type « Mais qu’est-ce que je fous dans le 7e arrondissement, bordel ! » nous crie dessus en indiquant sa gauche (normal, quoi ! ) « C’est par-là qu’il faut aller ! ». Nous hâtons le pas, suivis par tant d’autres, un groupe d’africains en costard se met à cavaler le long de la rue de Lille. Là encore je ris en m’imaginant la tête des riverains en voyant passer sous leurs fenêtres ces flux migratoires. L’excitation augmente d’un cran, une foule multicolore s’amasse à l’intersection avec la rue de Solférino, tous veulent à tout prix être dans l’axe pour pouvoir avoir une vue sur l’écran géant installé pour l’occasion. Des drapeaux blancs prônant le changement immédiat côtoient les drapeaux tricolores qui s’agitent de plus belle au fur et à mesure que la tension monte. Nous aussi, nous nous mettons à galoper et sautiller joyeusement, personne ne peut feindre l’ignorance (à moins d’être sourd et aveugle en même temps), mais la frénésie est vraie, et chacun n’en peut plus d’attendre l’annonce officielle, cathodique, libératrice.

changement c'est maintenant
Les noirs en costume dont je vous parlais

Pardon Monsieur, vous avez votre coude dans mon œil !

A la croisée des chemins, tout le monde veut faire partie de la fête, alors ça joue des coudes pour se faufiler dans la marée humaine qui s’agglutine, tantôt s’étire, tantôt se compresse. Gérard nous indique un chemin à suivre, nous le suivons en nous affairant à prendre un max de photos, tandis que Chloé regarde partout le monde qui l’entoure pour ne pas en perdre une miette, il faut dire qu’avec tous ces gens hauts-en-couleur et ce brouhaha assourdissant, nous avons là un véritable tableau. La traversée est épique, des bipèdes un peu partout, mais le plus frappant : c’est une véritable mosaïque ! La plèbe, la vraie, fait du tourisme dans les beaux quartiers, des noirs, des maghrébins, des chinois, des caucasiens, des comoriens, des pédés, des bobos, des chômeurs, des femmes (oui, Monsieur !), des familles avec enfants, des handicapés, des nantis, des assistés, des nains, des géants, des ménopausées, des gens drôles et d’autres un peu moins… Compressés comme jamais, il nous est impossible d’approcher d’avantage au risque de finir asphyxiés, d’autant plus que ça pousse vigoureusement derrière. 19h55, les retardataires accourent pour la grand-messe du vingt heures, et obtenir la confirmation de leurs espérances. Comme à un concert de rock des cris s’élèvent un bref instant avant de retomber en rires étouffés, fausse alerte, il n’est que 19h57. Tout le monde se met à hurler, moi je n’en peux plus, les gens discutent entre eux, on sympathise, la haine du président sortant est un excellent de facteur de fraternisation, il faut dire. Alors ça lance des petites plaisanteries mesquines (moi j’aime) :

«  Alors, à votre avis, elle tient combien de jours la Carla avant de divorcer ? »

Ça rigole bien, de la franche camaraderie, aujourd’hui est un jour trop beau pour laisser s’échapper des paroles haineuses, on préfère rire de ces cinq années de doute et de suspicion, après tout l’orage est dernière nous. Privé de toute liberté de mouvement, je ne puis plus faire un seul pas, et des je ressens des bouffées de chaleur. Cela n’est rien comparé à ce que doivent éprouver ceux qui sont au cœur de la fosse. Autour, les petites meufs tombent comme des mouches, « poussez-vous, je vais faire un malaise » hoquète une jeune femme avant de disparaître au loin. Devant moi, trois types en train de rapatrier une femme tombée inconsciente, surement l’effet François. Des photographes de partout partout, qui jouent de leur voix de barytons pour s’engager et grimpent sur tout et n’importe quoi pour prendre la photo de l’année (feux rouges, cabines téléphoniques, arrêts de bus), les amateurs ont eux-aussi sorti le reflex ou bien le smartphone pour immortaliser l’instant t que personne ne veut manquer, pour rien au monde. L’attente devient insupportable car ce n’est plus un rassemblement, c’est une fournaise.

Mais si Nadine, regarde, y en avait des drapeaux tricolores!

Le sacre des loukoums !

Et puis, le compte à rebours démarre finalement à 19h59min30. C’est un brouhaha général, inaudible et incohérent. Je tends l’oreille, on dirait que chaque participant crie un nombre différent, « dix-huit !!!!» est scandé en même temps qu’un « vingt-deux » qui est aussitôt couvert par un « SEIZE», c’est un bordel sans nom (J’aime) je n’y comprends rien alors je décide de faire mon propre décompte tout seul comme un grand ! Et c’est seulement à cinq secondes du gong final que tous les chœurs se rejoignent à l’unisson, un frisson s’empare de chacun. Tout le monde s’époumone « Cinq, quatre, trois, DEUX, UN… ». Un bref silence passe. Le doute est partout. Ça peut sembler con mais je flippe tellement au fond de moi car j’ai peur d’être déçu… Le visage du nouveau président apparait en grand.

Le cœur de la rue de Solférino : Bilan 145 morts, 12 amputés (Photo : Audrey Cerdan pour Rue89)

C’était un volcan qui s’éveillait. Un moment de communion inégalable ou toutes les âmes ne firent plus qu’une seule, belle et rose. Tous levèrent les bras au ciel et hurlèrent de bonheur. C’était beau, c’était formidable, c’était grandiose !

Et enfin, je réalise… Nous voilà débarrassés de l’affreux… C’est la folie, les gens qui n’ont rien pu voir veulent à tout prix se rapprocher du siège, et ceux qui ont déjà tout vu veulent s’extirper des bras de l’amante trop câline (je parle de la foule). Au milieu, il y a nous. JOIE. Nous ne contrôlons plus rien, les mouvements des corps nous entrainent dans des directions non désirées, c’est la cohue, ça devient invivable. « Reculez !!! Dis-leur de reculer ! » hurle lucidement Gérard à un jeune homme perché sur un feu tricolore. Dix minutes de bataille urbaine, et ma première bouffée d’air frais. Il aurait été dommage de succomber juste un dimanche si parfait.

LOVE !

Suite de l’article ici : On a pris la bastille (elle a même pas eu mal!)