Afro Inspiration : Sarah Diouf, Éditrice en chef du magazine Ghubar

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Sarah Diouf est l’éditrice en chef du magazine Ghubar qui fête cette année son 4ème anniversaire. Nous l’avons rencontré pour vous partager les confidences d’une jeune professionnelle de la mode…

Bonjour Sarah, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Sarah Noemie, j’ai 25 ans et je suis la rédactrice en chef de Ghubar Magazine ;  un magazine digital de mode, arts et lifestyle construit autour du métissage culturel, lancé il y a un peu plus de 4 ans maintenant.

J’ai commencé cette aventure en parallèle de mes études : l’avènement d’internet ayant entrainé une explosion de la blogosphère,  plutôt que de suivre la tendance, j’ai décidé de monter un magazine, un vrai, avec une mise en page, des sujets de fond, des séries modes,  etc.. l’impression en moins. 

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Sarah Diouf photographed by Nabile Quenum

Parles-nous un peu de comment est né le magazine? On a lu que Ghubar veut dire « poussière » en arabe pourquoi ce choix ?

Ghubar veut dire poussière en arabe, en effet, mais la prononciation est bien différente en revanche (rires).

A vrai dire, je suis tombée sur l’histoire de la calligraphie éponyme “connue pour être aussi fine que des particules de poussière”  au cours de mes recherches de typos pour le magazine (qui devait s’appeler FIVE à l’origine), et ça m’a tout de suite interpellée : j’étais en pleine période de convalescence, suite à un accident de la route qui m’a presque coûté la vie, et qui par la suite, m’a permis  de voir les choses différemment, en prenant conscience de futilités auxquelles on accorde parfois un peu trop d’importance pour pas grand chose au final (…) car il ne faut pas oublier que tout ce qui naît poussière, retourne à la poussière.

Mais le côté paradoxal qui m’a tout de suite fait comprendre que Ghubar était ce que je recherchais, c’est le rapprochement avec ce vieil adage qui dit que “les écrits restent, mais les paroles s’envolent” (…) pour la suite, je vous laisse deviner…

Qui est la femme Ghubar ?

La femme Ghubar est universelle et transgénérationnelle. C’est plus une façon de penser et d’être qu’une femme que l’on pourrait définir physiquement.

C’est une femme forte, caractérielle, passionnée et engagée, mais surtout qui ne se prend pas au sérieux. C’est quelqu’un qui nourrit son intellect et sa curiosité en apprenant des autres, quelqu’un de calme, en somme, qui incarne un peu la force tranquille. Je pense que ma grand-mère et ma mère ont été les femmes-inspirations derrière ces traits, le raffinement en plus.

En 4 ans, Ghubar en est à son 40e numéro… comment le magazine a évolué?

J’ai parfois du mal a regarder en arrière tant j’ai la tête complètement dedans. Je pense que depuis le lancement, le magazine, et moi même, avons beaucoup muri. Le contenu s’élève et s’ajuste au fur et à mesure que le temps passe pour continuer à capter l’intérêt du lecteur qui nous suit depuis le début, et qui évolue avec nous, mais aussi celui qui ne nous connaît pas.

C’est un beau challenge que je mène avec ma petite équipe, qui a elle aussi changé et évolué depuis les débuts.

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#Ghubar41 Summer 2013 Cover : Eya Oueslati Photographed by Yuji Watanabe & Styled by Sarah Diouf

Au fil des années, ton rôle a du changer avec la croissance du magazine. Décris-nous tes tâches comme rédactrice en chef aujourd’hui ?

Plus le temps passe, plus l’étau se resserre. Lorsqu’on monte un projet avec l’ambition de le porter toujours plus loin, les conditions ne sont pas toujours réunies en temps et en heure, mais je pense que le plus important c’est de ne jamais lâcher prise, sauf si l’on sait que l’on va dans la mauvaise direction.

Backstage video of #Ghubar40 : 

J’ai du et  fais souvent face à des situations où je dois tout gérer moi même, à savoir la production du contenu, écrit et éditorial, le graphisme, la communication (…) Je touche à tout car je pense qu’il est impératif pour toute personne qui entreprend, de savoir balayer un bureau avant d’occuper tout un immeuble. Tout comme il est très important si l’on veut grandir de savoir déléguer, mais personne ne doit être indispensable.

Quels sont les challenges de l’édition en ligne comparée à l’édition papier ?

Capter le lecteur.

Aujourd’hui, lorsque quelqu’un achète un magazine papier, il sait d’avance ce qu’il recherche. Il connait le nom de la publication, le contenu, la fréquence…etc.

L’internaute, qui peut potentiellement se transformer en lecteur, va se ballader sur la toile sans réelle ambition et c’est à nous de le trouver, de le séduire, de susciter son intérêt en lui proposant quelque chose qu’il ne trouvera pas ailleurs, et faire en sorte qu’il ne parte plus.

Des photographes, des reporters, des maquilleurs… quels sont tes critères de sélection pour faire partie de l’univers Ghubar ?

La qualité du travail, la volonté et le coup de coeur pour la personne. Je fonctionne énormément à l’affect, et je me trompe rarement.

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Backstage Ghubar #41

Lorsque le projet a commencé, aucun des membres de l’équipe n’était professionnel en quoique ce soit. Ca a permis à chacun de nous de nous faire la main dans nos domaines de prédilections respectifs, aussi je pense qu’il est important de donner la chance aux personnes qui peuvent présenter un fort potentiel.

C’est très important de donner quand on a reçu.

Ghubar est-il représenté en Afrique ?

Pas encore, mais on y arrive … d’ici Septembre 🙂

Quelle plus-value penses-tu que le magazine apporte aux lecteurs africains ?

Si je n’étais pas à l’origine de cette initiative, je pense que ce serait une fierté de voir une jeune femme africaine entreprendre dans un milieu aussi difficile que celui de l’industrie créative, à l’échelle internationale, mais surtout l’exemple que tout le monde peut le faire.

Creusons un peu la question. D’Angela Simmons à Sonia Rolland, ton magazine a accueilli et accueille de nombreuses mannequins noires. Quelle importance accordes-tu à la mise en avant de la beauté noire ?

Je suis une femme noire, et même bien noire (rires), aussi c’est important pour moi qu’elles soient représentées de temps en temps. N’oublions pas que l’ambition du magazine EST de mettre en avant toutes ces beautés, noires, mais aussi orientales, asiatiques (etc.) longtemps laissées pour compte par les grandes publications (à l’exception d’une ou deux têtes d’affiches) à une époque où elles ne correspondaient pas au stéréotype adulé par les médias.

On sait que tu es d’origine centrafricaine et sénégalaise. Quel regard portes-tu sur l’état de la haute couture dans ces pays ?

Le Sénégal est aujourd’hui la plaque tournante de l’industrie créative en Afrique de l’Ouest, nous avons une biennale, une fashion week (clin d’oeil à Adama Ndiaye, à l’origine de cette belle l’initiative qui fête aujourd’hui ses 10 ans d’existence), et de nombreux évènements culturels internationaux y sont organisés.

Je ne pense pas que je puisse parler de Haute Couture telle qu’on l’a connaît aujourd’hui en Europe, et si les créateurs de mode sont présents et reconnus, il y a encore du travail à faire.

En Centrafrique, je pense qu’il y a actuellement des choses plus importantes sur lesquelles se concentrer que l’absence d’une scène mode. Le pays traverse actuellement une période de crise politique que nous sommes loin d’imaginer, et j’appelle les organismes concernés à braquer les lumières sur ce qui se passe à Bangui avant qu’il ne soit trop tard (…).

On se souvient qu’en septembre 2010 l’agence de mannequins Ghubar Models a vu le jour ? Peux t’on s’attendre à d’autres initiatives du genre pour 2013 ?

Ghubar Models était plus une agence informelle qu’autre chose, une façon de présenter de manière exhaustive les mannequins coup de coeur avec lesquelles nous avons travaillé, ayant chacun un trait de caractère propre, une beauté particulière que l’on recherche chez Ghubar.

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Backtage Ghubar #41

Pour 2013, je ne pense pas, mais l’année prochaine elle, sera pleine de surprises!

En 2008 lorsque tu commençais Ghubar les tendances wax ou ethnic-chic étaient peu visibles. Quel regard portes-tu sur ces succès Afro dans la mode contemporaine ?

Il ne faut pas cracher dans la soupe ; je trouve que c’est une bonne chose pour des codes aussi emblématiques que ceux de notre culture d’être vus aux quatre coins de la planète, et encore plus lorsque c’est fait PAR des créateurs africains. Quand ce n’est pas le cas, ce que je trouve triste, c’est qu’en face du succès de ces tendances rebaptisées afro ou ethno-chic, plane encore trop d’ignorance sur des sujets tels que l’origine réelle du wax ou l’histoire de son importation en Afrique bien avant qu’elle ne se l’approprie (…) et ce parfois même au sein de notre communauté.

Je pense que le travail de fond qui devrait être mis en place par les créateurs africains qui privilégient des textiles comme le wax, le bazin, le bogolan, où des vêtements inspirés de coupes traditionnelles, est d’ordre éducatif. Afin que non seulement les personnes qui découvrent la culture, en apprennent l’histoire par la même occasion, mais aussi pour nous éduquer nous, Africains. Car on ne finit jamais d’apprendre sur soi.

Si tu pouvais changer une chose dans l’industrie de la mode qu’est-ce que ça serait ?

Si j’étais en mesure de, je ferai en sorte d’accroître les opportunités pour les jeunes créateurs de rencontrer des acheteurs internationaux : il y a tellement de gens talentueux qui n’ont pas les moyens ni le réseau, mais qui une fois au contact du client final pourrait vendre avec beaucoup moins de difficulté que de nombreuses marques. Il faudrait créer plus de chances de ce côté là.

Un conseil pour les jeunes entrepreneuses ?

Suivez votre intuition, soyez malignes, courageuses, dites haut et fort ce que vous pensez, et ne laisser personne vous marcher dessus.

Maintenant, 3 questions pour mieux te connaître !

Quel est la pièce indispensable de ton dressing  ?

Une seule, je ne pourrai pas… Je dirais mes chaussures.

Un magasin de NY qui manque à Paris ?

Arf, maintenant je shoppe tout en ligne alors… je dirai peut être un beauty supply, pour les produits qu’on ne trouve pas ici.

Enfin si on te dit Afro Inspiration tu réponds ?

Les griots, le son de la Kora, 1961…

Merci pour cette entrevue Sarah et bonne continuation. Un dernier mot pour les lecteurs Afrokanlife ?

Merci à AfrokanLife de m’avoir accordé cet espace, et amitiés à vos lecteurs que j’invite à nous rejoindre sur les réseaux sociaux et le blog Ghubar que nous venons tout juste de lancer !


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