DE LA RESISTANCE A LA COLONISATION A LA DEMOCRATIE : Le rôle de la jeunesse camerounaise par Hiram Samuel IYODI
La lecture de l’histoire de notre pays nous porte à constater que les luttes successives pour les droits et les libertés de notre peuple ont connu des avancées notoires lorsque la jeunesse a su s’approprier son destin.
En effet, à la suite de la conférence de Berlin de 1884-1885 qui décide du partage de l’Afrique, le Cameroun est placé sous protectorat allemand.
En 1910, 2 ans après son intronisation comme Roi des Bell, constatant que la puissance coloniale se refuse à honorer les clauses du traité signé avec son père, Rudolf Duala Manga Bell âgé de 38 ans s’oppose au plan d’urbanisation et d’expropriation des terres décidé par le Gouverneur allemand Théodore Seitz. Malgré ses protestations, les habitants du plateau Joss sont notifiés de leur expropriation par décret en 1913. La tension s’accroit entre la chefferie des Bell et l’administration allemande et Duala Manga Bell est relevé de ses fonctions. En 1914, il dépêche son secrétaire Ngosso Din en Allemagne pour plaider la cause des Camerounais et il entre par la même occasion en contact avec les chefs locaux de Yabassi, Yaoundé, Dschang , Ngaoundéré, Baham et le sultan des Bamouns à qui il demande du soutien dans le conflit qui l’oppose aux Allemands. Trahi par quelques-uns, il sera arrêté, jeté en prison puis pendu le 08 août 1914 après un simulacre de procès. Duala Manga Bell meurt pour avoir défendu les intérêts de son peuple et ceux des autres peuples de l’intérieur du Cameroun. Il n’a que 42ans.
Le même jour, Martin Paul Samba connaîtra un sort identique. Revenu d’Allemagne en 1895 où il a poursuivi une formation militaire couronnée par le grade de capitaine (Il faut rappeler que Duala Manga Bell avait suivi une formation en droit à Bonn en Allemagne de 1891 à 1896), il s’indigne face aux traitements que réserve l’administration allemande aux populations locales. Il prend attache avec Duala Manga Bell en 1912 et il monte une rébellion en pays Bulu. Lors de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, Martin Paul Samba tente d’entrer en contact avec les troupes françaises à Brazzaville et les troupes anglaises installées au Nigéria. Un de ses courriers est intercepté, il est accusé de haute trahison et fusillé à Ebolowa le 08 Août 1914 à l’âge de 40 ans.
Rudolf Duala Manga Bell et Martin Paul Samba constituent ceux que j’ai qualifié dans mon livre « Mes Rêves de Jeune…Le Cameroun des 50 prochaines années » de première lignée des pères fondateurs du Cameroun.
Leur combat sera une source d’inspiration pour la seconde lignée des pères fondateurs du Cameroun, ceux-là qui réclameront l’indépendance du Cameroun à partir de 1948.
Le Cameroun est placé sous mandat de la France et du Royaume-Uni par la Société des Nations à la suite de la défaite de l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale.
En 1944, l’administration coloniale française reconnaît aux travailleurs camerounais le droit de syndiquer. Ceux-ci vont créer l’union des syndicats confédérés du Cameroun avec comme secrétaire général, un jeune homme de 31 ans nommé Ruben Um Nyobe. Celui-ci va se dévouer au fonctionnement de l’USCC et va également créer le cercle d’études sociales et syndicales. Quand la France autorise les activités politiques au Cameroun deux ans plus tard, Um Nyobe qui pense que seule l’indépendance peut faciliter l’amélioration du sort des travailleurs se montre critique face au choix des députés camerounais à l’Assemblée nationale française. Il trouve que le Dr Aujoulat et le Prince Alexandre Duala Manga Bell (le fils de l’autre) sont peu représentatifs du peuple camerounais. Le 10 Avril 1948, Ruben Um Nyobe, Mathias Djoumessi, Charles Assale, Léonard Bouli, Joseph-Raymond Etoundi et d’autres créent l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) dans un bar de la ville de Douala. Ce mouvement dont les têtes de file sont des intellectuels (Um Nyobe – Greffier, Félix Moumié – Médecin, Ernest Ouandié – Enseignant, Ossende Afana – Économiste) a une vision claire de l’autonomie qu’il réclame pour les populations du Cameroun. Cette vision se trouve consignée dans le document « Que veut le Cameroun » dont Um Nyobe donne lecture à l’assemblée générale de l’ONU en 1952. Um Nyobe, fils de Mbombog (Sacerdote dans la tradition initiatique de la tribu des Bassa’a) dont il avait reçu de très précieux enseignements, était âgé de 39 ans lorsqu’il se rendit pour la première fois à l’ONU. IL y retourne en 1954 pour demander à la France de fixer un délai pour l’indépendance et d’organiser un référendum sur la question de la réunification du Cameroun. Ses voyages sont en grande partie financés par des cotisations de jeunes camerounais originaires des quatre coins du triangle national. Il devient l’ennemi des autorités françaises. Trahi par les siens, le combat de Ruben Um Nyobe s’achève sous les balles de l’armée française dans la forêt de Boumyébel un matin du 13 septembre 1958. Il meurt à 45ans. A sa mort, le flambeau est repris par Félix Moumié et Ernest Ounadié qui avaient été respectivement élus président et vice-président de l’U.P.C. à l’issue du congrès d’Eseka de 1952. Félix Moumié a 27 ans lorsqu’il devient président de l’U.P.C. Ernest Ouandié en a 28 à son élection comme vice-président du parti. Félix Moumié sera empoissonné à Genève en 1960 par l’agent des services secrets français William Bechtel tandis qu’Ernest Ouandié sera exécuté et sa tête sera exposée au marché de Famla à Baffoussam en 1971. Cette génération de patriotes, dits maquisards par l’administration coloniale sera à son tour une source d’inspiration pour les jeunes qui réclameront un état démocratique au début des années 90. Il est inutile de rappeler que peu de mouvements révolutionnaires en Afrique auront eu des chefs du calibre des principaux leaders de l’U.P.C.
Il faut également de rappeler que l’un de leur principal bourreau, le Président Ahmadou Ahidjo fut porté à la tête de la République du Cameroun en 1960 à l’âge de 36 ans.
Le mur de Berlin entraine le communisme dans sa chute à la fin des années 80. Cette chute va favoriser la levée d’un vent de liberté, de justice et de démocratie qui va particulièrement souffler sur l’Afrique francophone. Le Cameroun n’échappe pas à la règle. A la suite de la création en février 1990 d’une « coordination nationale pour la démocratie et le multipartisme » qui vaudra à Maître Yondo Black, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats et à plusieurs personnes d’être arrêtés, John Fru N’Di lance au mois de mai le Social Democratic Front (SDF) lors d’une marche dont la répression cause la mort de 6 personnes « écrasées par balle ». En juin 1990, la conférence épiscopale camerounaise publie une lettre pastorale qui critique ouvertement le pouvoir et le 4 juillet 1990, le Président Paul Biya accepte enfin d’abandonner le monopole politique exercé par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) créé en 1985. En décembre 1990, l’Assemblée nationale adopte une série de lois destinées à contrôler la création de nouveaux partis alors que la constitution prévoit explicitement le multipartisme intégral. Plusieurs leaders d’opposition réclament la tenue d’une conférence nationale souveraine qui devra poser les bases d’une transition démocratique. Le refus de l’administration conduira aux villes mortes dès le mois d’avril 1991 ; la jeunesse descend massivement dans les rues pour manifester son mécontentement. Le pouvoir cède et le Président Paul Biya organise en octobre 1991 la conférence tripartite à laquelle prennent part la société civile, le gouvernement en place et les partis d’opposition. Cette conférence débouchera en novembre 1991 sur la déclaration constitutionnelle de la tripartite qui définit les principes, les mécanismes et les organes de la nouvelle ère de démocratie que les Camerounais avaient souhaitée.
Parmi les acteurs majeurs de la naissance du processus démocratique figuraient les anciens Eboa Samuel, Bello Bouba, Augustin Frédéric Kodock, John Fru Ndi, Prince Dika Awka mais aussi les jeunes Célestin Bedzuigui, Celestin Monga, Lapiro de Banga et Maitre Yondo Black soutenus par l’ensemble de la jeunesse camerounaise de l’époque, aujourd’hui aux affaires.
Ces rappels historiques témoignent du fait que les différentes avancées dans le processus de construction de notre Nation ont été majoritairement conduites par des intellectuels camerounais âgés de 20 à 40ans, qui avaient su faire passer les intérêts du plus grand nombre avant les leurs.
Sommes-nous en droit d’attendre de notre génération qu’elle s’implique et agisse pour poser les bases de construction de ce Cameroun émergent et prospère que nous appelons tous de nos vœux ? Notre jeunesse saura-t-elle relever le défi que sa terre mère africaine, violée et surexploitée depuis 5 siècles attend aujourd’hui d’elle ?
Cet article a été rédigé par Hiram Samuel IYODI
Bio de Hiram : Ingénieur camerounais de 24ans, auteur de « Mes Rêves de Jeune…Le Cameroun des 50 prochaines années » paru aux Editions Veritas en 2011