Jeunes issus de l’immigration : une discrimination à l’embauche

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En France, la discrimination à l’embauche est interdite par la loi. Mais en réalité le chômage frappe plus durement les jeunes issus de l’immigration.

Plusieurs études convergent en effet pour montrer les difficultés d’insertion professionnelle des enfants nés de parents immigrés. A partir des enquêtes retraçant le devenir professionnel de jeunes ayant quitté le système éducatif en 1992 et 1998, le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Cereq) montre dans une étude publiée en janvier 2006 que les jeunes originaires du Maghreb, et à un moindre niveau les jeunes issus d’Afrique subsaharienne et ceux d’Asie du sud-est, subissent une « pénalité à l’embauche ». Ces pénalités à l’embauche, indique le Cereq, ont résisté à la décrue du chômage, dans la seconde moitié des années 90.

L’on peut citer également une étude publiée en 2005 par le FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations) qui s’est intéressée spécifiquement aux enfants issus de l’immigration ayant accédé aux études supérieures. Cette étude montre une double discrimination. D’une part, les conditions d’insertion des enfants de l’immigration sont plus difficiles que celle des Français d’origine. D’autre part, il apparaît des différences selon l’ancienneté d’immigration et la provenance géographique des populations. En effet, les enfants dont les parents proviennent des pays du Maghreb accèdent plus difficilement à un emploi non seulement vis-à-vis des Français d’origine mais aussi face aux originaires d’Europe du Sud (Portugal principalement). Les jeunes femmes d’origine maghrébine cumulent elles les difficultés en raison de leur origine et de leur statut de femme. Cependant les auteurs de cette recherche notent que ces difficultés disparaissent lorsqu’il s’agit de recruter des infirmières, « denrée devenue rarissime ».

Pourquoi l’inégalité de traitement a longtemps été minimisée ?

L’égalité en droits des citoyens (article 1er de la Déclaration de 1789) est l’un des principes sur lequel s’est fondée la République française. Ce principe d’égalité de traitement a longtemps eu pour corollaire de masquer les discriminations que peuvent subir les personnes issues de l’immigration.

Ne reconnaissant pas les origines ethniques de ses citoyens, l’Etat français n’a pas mené d’actions pour aider de manière préférentielle les personnes d’origine immigrée à la différence de pays tels que les Etats-Unis. Dans le rapport « la République à ciel ouvert » (2004), A. Begag rappelle le contexte dans lequel apparaît « l’affirmative action » ou “discrimination positive” aux Etats-Unis. Il dégage trois étapes. D’abord apparaît la loi de 1964 sur les droits civils qui sensibilise les entreprises à la promotion de l’égalité des chances et à la mise en place de formations spécifiques en direction de personnes appartenant aux minorités ethniques reconnues victimes de discriminations (les Noirs, les Indiens, les Hispaniques ou les Asiatiques).

A partir des années 70, une 2ème étape de l’affirmative action débute. Des jugements rendus par certains tribunaux fédéraux et des instructions données par l’Agence chargée de surveiller l’application de la politique anti-discrimination en matière d’emploi (l’Equal Employment Opportunity Commission) ouvrent le champ à la définition de quotas ethniques « au détriment des compétences personnelles des candidats ». Cette logique des quotas connaît cependant dans une 3ème phase des difficultés. En effet, « dans la catégorie des Asiatiques, comment distinguer les Chinois, les Japonais, les Philippins, Coréens et Vietnamiens ?” ou “Comment classer un individu issu d’une union mixte ? ». Au vu de ces difficultés, “l’affirmative action” est alors revenue à des formes d’action positive plus souples, explique le rapport.

Comment combattre la discrimination à l’embauche ?

Les violences urbaines apparues à la fin de l’année 2005 ont contribué à faire partager le constat d’un écart entre le principe d’égalité des citoyens et la réalité. La lutte contre les discriminations à l’embauche semble être devenue une priorité.

Le gouvernement a placé sa lutte contre les discriminations au niveau de l’égalité des chances, le situant ainsi dans la veine républicaine. Le projet de loi sur l’égalité des chances actuellement débattu au Parlement prévoit notamment de doter la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) de nouveaux pouvoirs. Installée en juin 2005, la Halde aura le pouvoir de sanctionner les discriminations par des amendes allant jusqu’à 25 000 euros. Elle pourra utiliser le testing comme moyen de preuve de discriminations pratiquées par exemple par les entreprises.

Des initiatives de discrimination positive émergent cependant. Les expériences de discriminations positives émanant des pouvoirs publics se font sur une base territoriale et/ou sociale. C’est le cas de l’école Sciences-Po qui a créé une voie particulière de recrutement pour les lycéens issus de zone d’éducation prioritaire ou des écoles de police (ouverture en janvier de classes préparatoires aux concours de commissaires et d’officiers de police pour des élèves retenus selon des critères sociaux et géographiques). En janvier 2006, l’ANPE a mis en place une plateforme nationale spécifiquement destinée aux jeunes diplômés issus des zones urbaines sensibles. Son objectif est de mettre en contact les jeunes diplômés avec les recruteurs, notamment les entreprises signataires de la Charte de la Diversité. Signée en octobre 2004, à l’initiative de l’Institut Montaigne (un club patronal présidé par le patron d’Axa, Claude Bébéar) la Charte de la Diversité engage les entreprises à recruter des personnes d’origine culturelle diverse. En octobre 2005, 231 entreprises étaient recensées comme signataires de la Charte.

Au niveau des recrutements, de nouvelles méthodes sont expérimentées. Roger Fauroux dans un rapport intitulé « la lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l’emploi » plébiscite l’examen objectif des compétences ou des “habiletés”, telle que l’ANPE l’expérimente. Il défend également le CV anonyme dont la mise en place expérimentale doit être étudiée par les partenaires sociaux lors des négociations interprofessionnelles à venir sur la diversité. Deux groupes de travail ont été constitués, l’un sur « les définitions et les concepts » : diversité, diversité culturelle, diversité ethnique, diversité sociale…, l’autre sur les pratiques permettant de lever des obstacles à l’accès à l’emploi et à l’évolution professionnelle. Trois dates de réunions plénières ont été retenues (mars, mai et juin 2006).

Enfin, pour combattre les discriminations à l’embauche, plusieurs rapports (La lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l’emploi, R. Fauroux ; La République à ciel ouvert, A. Begag) s’accordent à dire qu’une statistique des origines est nécessaire. Seule l’existence d’outils statistiques permettrait selon eux de quantifier les progrès ou les reculs réalisés dans le recrutement diversifié. Quelles sont alors les possibilités de mesure de la diversité pour une entreprise ? La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) indique que le recueil de données relatives à l’origine raciale ou ethnique n’est pas possible, aucun référentiel national de typologies « ethno-raciales » n’existant aujourd’hui. Dans le cadre d’une politique de diversité, seuls peuvent être recueillis et traités le nom du candidat à l’emploi ou de l’employé, son prénom, sa nationalité, sa nationalité d’origine le cas échéant, son lieu de naissance, la nationalité ou le lieu de naissance de ses parents, son adresse. Ce sont ces données qui ont été utilisées par exemple par le Cereq pour son étude.

Source : vie-publique