Comment faire du cinéma quand on est noir, fauché et sans piston ?
par Pascal Tessaud
Ces trente derniĂšres annĂ©es ont vu Ă©merger, de façon fulgurante, un nouveau cinĂ©ma français issu de lâimmigration maghrĂ©bine : de vĂ©ritables stars ont explosĂ© et portĂ© trĂšs loin un cinĂ©ma Ă rĂ©sonnance rĂ©solument politique : Jamel Debbouze (IndigĂšnes, Hors-la-loi), Roschy Zem (Vivre au Paradis, Hors-la-loi), SaĂŻd Taghmaoui (La Haine), Sami Bouajila (Bye Bye), Tahar Rahim (Un prophĂšte), Sami NacĂ©ri (RaĂŻ, Taxi), Fellag (Le GĂŽne du ChaĂąba), LeĂŻla Bekhti (Tout ce qui brille), Sabrina Ouazani (Lâesquive), Hafsia Herzi (La Graine et le mulet), Zinedine Soualem, Ramzy, Rachida Brakni, etc. Ces stars françaises incontestĂ©es ont souvent Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es par des cinĂ©astes engagĂ©s issus de la seconde gĂ©nĂ©ration de lâimmigration maghrĂ©bine, cinĂ©astes qui ont su sâimposer Ă la critique comme au Box Office : Rachid Bouchareb (3 sĂ©lections aux Oscars), Abdelatif Kechiche (9 cĂ©sars), mais aussi Djamel Bensalah, Mehdi Charef, Rabah Aimeur ZaĂŻmeche, Yamina Benguigui, IsmaĂ«l Ferrouki, Malik Chibane, Karim Dridi, Mabrouk El Mechri, Souad El Bouhati, Bourlem Guerdjou, Kamel Saleh, Raja Amari, Nassim Amaouche⊠à lâinstar des cinĂ©astes afro-amĂ©ricains tels que John Singleton, Spike Lee, les frĂšres Hugues, Lee Daniels, Antoine Fuqua ou encore Tyler Perry, cette explosion artistique hĂ©tĂ©roclite que lâon pourrait comparer Ă©galement Ă la prise de pouvoir des Italo-amĂ©ricains aux Etats-Unis (Coppola, Scorsese, De Palma, Ferrara, Tarantino) doit son succĂšs Ă une vĂ©ritable prise de conscience des tabous postcoloniaux de lâEmpire français, Ă la fois chez les crĂ©ateurs et chez le public français. Ces cinĂ©astes influencĂ©s par le nĂ©orĂ©alisme italien et algĂ©rien, ainsi que par le Nouvel Hollywood, ont su imposer des films nĂ©cessaires, personnels et ambitieux, ancrĂ©s dans une urgence politique hexagonale.
Ces films devenus, pour certains, mainstream par la force du poignet, ont donc perforĂ© la porte blindĂ©e dâun cinĂ©ma bourgeois. Si cette visibilitĂ© massive Ă lâĂ©cran de maghrĂ©bins peut sâexpliquer par une grande prĂ©sence de cette immigration sur le territoire français depuis les annĂ©es 50 â mais aussi par les rĂ©cents troubles politiques internationaux (le terrorisme, la guerre en Irak et le 11 septembre) et nationaux (les Ă©meutes de 2005, les polĂ©miques sur le voile Ă lâĂ©cole etc.) qui ont polarisĂ© les craintes et les prises de position mĂ©diatiques â nous devons aussi rĂ©flĂ©chir aux raisons plus profonde de ce changement rĂ©vĂ©lateur. Ce succĂšs prouve en effet que la France lambda adhĂšre enfin Ă un cinĂ©ma critique et dĂ©fend cette mouvance dans un Ă©lan antiraciste et bienveillant (qui peut tomber parfois, comme disent les mauvaises langues, dans un certain paternalisme). Les prĂ©supposĂ©s hĂ©ritiers de la Nouvelle Vague, qui pĂ©rennisaient la tendance unilatĂ©rale dâun cinĂ©ma dâauteur parisien, ont pourtant lâhabitude de descendre en flĂšche toute tentative dâun cinĂ©ma politique Ă la française, conspuĂ© comme de vulgaires « fictions de gauche » et considĂ©rĂ©es comme has been et non artistiques. Ainsi des cinĂ©astes tels que Costa Gavras avec Z (69) ou Lâaveu (70), RenĂ© Vautier avec Avoir 20 ans dans les AurĂšs (72) ou Yves Boisset avec Dupont Lajoie (74) furent suspectĂ©s en leur temps de manichĂ©isme idĂ©ologique et de ringardise formelle, et rejetĂ©s par les gardiens du temple. Bouchareb en serait devenu leur successeur direct : stars + sujets polĂ©miques = succĂšs populaire et critiques agressives. La grande diffĂ©rence, câest que Bouchareb va aujourdâhui en officiel Ă Cannes et aux Oscars, soutenu par les progressistes dâHollywood.
Il faut croire que les dĂ©cideurs de lâindustrie cinĂ©matographique ont enfin compris la nĂ©cessitĂ© de laisser la parole Ă cette minoritĂ© « visible » qui fut longtemps bĂąillonnĂ©e, portĂ©e disparue sur les Ă©crans hexagonaux ou alors terriblement caricaturĂ©e (de Tchao Pantin Ă Chaos par exemple). Cette gĂ©nĂ©ration montante, trĂšs concernĂ©e par les questions politiques, nâa pas mendiĂ© un strapontin Ă lâindustrie mais a bien dĂ©cidĂ© dâimposer des films subjectifs, politiques coĂ»te que coĂ»te, grĂące au pouvoir de ses tĂȘtes dâaffiche conscientisĂ©es.
Force est de constater en tout cas que cette ouverture est un phĂ©nomĂšne unique en Europe (dans le monde ?). Ces nouveaux cinĂ©astes et comĂ©diens de double culture nâont pas attendus les badges jaunes de « SOS racisme » pour ĂȘtre acceptĂ©s Ă la table des dĂ©bats. En sâinspirant notamment directement de la prise de pouvoir du cinĂ©ma afro-amĂ©ricain indĂ©pendant – de Melvin Van Peebles (Sweet Sweetbackâs Baadasssss Song), Ă Spike Lee (Nola Darling nâen fait quâĂ sa tĂȘte, Do the Right Thing, Malcolm X) en passant par Charles Burnett (Killer of Sheep), John Singleton (BoyâZ in the Hood), Mario Van Peebles (Panther), les frĂšres Hugues (Menace II society, Dead Presidents) ou plus rĂ©cemment de Precious de Lee Daniels â ces artistes français dâorigine maghrĂ©bine ont su imposer de nouveaux visages, de nouvelles thĂ©matiques sociales, ancrĂ©es dans des zones urbaines autrefois dĂ©laissĂ©es par le cinĂ©ma dominant. Si le ghetto fut le terrain de jeu des trublions afro-amĂ©ricains lĂ -bas, les citĂ©s des banlieues pĂ©riphĂ©riques en seront lâespace Ă explorer ici.
Nous pouvons bien sĂ»r nous rĂ©jouir de cette transformation sociologique du cinĂ©ma français mais quâen est-il de la place des Noirs justement dans le cinĂ©ma made in France ?
Pouvons nous comptabiliser autant de cĂ©lĂ©britĂ©s noires devant et derriĂšre la camĂ©ra ? Et si non quâest-ce qui empĂȘche le cinĂ©ma français de cĂ©lĂ©brer nos Denzel Washington, Halle Berry, Angela Bassett, Samuel Lee Jackson, Wesley Snipes, Forest Whitaker, Jamie Foxx, Will Smith, Morgan Freeman, Pam Grier, Mos Def, Cuba Gooding Jr, Eddy Murphy et autre Woopi Goldberg ? La France sait pourtant acclamer ses chanteurs noirs (Kassav, MC Solaar, Yannick Noah, Abd el Malik, Corneille, SaĂŻan Supa Crew, Soprano, Joey Starr, BoobaâŠ), ses sportifs de haut niveau (Marcel Desailly, Basile Boli, Richard Dacoury, Tony Parker, Boris Diaw, Jean Tigana, Lilian Thuram, Didier Mormeck, Yannick et Joachim Noah, Thierry Henry, William Gallas, Marius TrĂ©sor, Jo Wielfried Tsonga ou Sorya Bonaly) et ses comiques (DieudonnĂ©, Thomas Njigol, Fabrice EbouĂ©, Patson, OmarâŠ). Alors pourquoi pas le cinĂ©ma ?
Bien sĂ»r, des comĂ©diens moins mĂ©diatisĂ©s ont posĂ© par le passĂ© les premiĂšres pierres Ă lâĂ©difice : des acteurs tels que Darling LĂ©gitimus, Isaac De BankolĂ© (Black Mic Mac), Jean Michel Martial, Firmine Richard, FĂ©licitĂ© Wouassi, Alex Descas (Sâen Fout la mort), Hubert KoundĂ© (La Haine), Mous Diouf et consorts ont posĂ© ces jalons. On remarque bien aujourdâhui, par-ci par-lĂ , quelques comĂ©diens noirs (surtout dans les tĂ©lĂ©films policiers et sĂ©ries dâailleurs) parfois mĂȘme en rĂŽles principaux. Mais combien il y a-t-il concrĂštement de rĂ©alisateurs noirs dans le cinĂ©ma français ? Pourquoi un cinĂ©aste aussi important que Med Hondo (LumiĂšre noire) par exemple, dans une vaine trĂšs contestataire, nâest-il jamais parvenu Ă une vraie reconnaissance critique ni au grand public alors quâil fut lâun des premiers Ă filmer des Noirs sur le territoire français avec talent ? Pourquoi cet incroyable oubli ? Pourquoi la cinĂ©aste française dâorigine martiniquaise Euzhan Palcy auteur de Rue Cases NĂšgres (cĂ©sar du meilleur premier film 84) nâa jamais pu vraiment faire carriĂšre en France et a dĂ» migrer aux USA pour pouvoir travailler (avec notamment Marlon Brando pour Une saison blanche et sĂšche en 1989 – Brando qui fut dâailleurs un fervent sympathisant des Black Panthers) ?
Pourquoi les rĂ©alisateurs et les sujets noirs sont-ils autant boycottĂ©s par les dĂ©cideurs de lâindustrie ?
Les AmĂ©ricains ont toujours su remettre en cause leur Histoire officielle avec des Ćuvres majeures et polĂ©miques telles que Roots, La Couleur pourpre, Full Metal Jacket, Apocalypse Now, JFK, Malcolm X, Munich, le Che, Syriana ou dans une moindre mesure avec Amistad de Spielberg. Pourquoi serait-ce alors impossible de faire la mĂȘme chose en France alors que beaucoup de Français sont en demande de ces films salutaires ? A quand un grand film sur lâHistoire de lâesclavage Ă la française ou sur le colonialisme par exemple ? La sĂ©rie Tropiques amers (2007), rĂ©alisĂ©e par Jean Claude Flamand-Barny, si elle nâatteint pas la puissance artistique du feuilleton mythique amĂ©ricain Roots, Ă©voque toutefois avec sincĂ©ritĂ© et Ă©motion lâesclavage dans les plantations des Antilles. Câest une tentative forte de la part de France TĂ©lĂ©vision. Le succĂšs a dâailleurs Ă©tĂ© au rendez-vous. Des acteurs tels que Jacky Ido (vu chez Dupeyron, Tarantino et Lelouche), Fatou NâDiaye et Jean Michel Martial donnent ainsi corps Ă cette Histoire jamais Ă©voquĂ©e en France. Une proposition tĂ©lĂ©visuelle innovante en somme qui va, je lâespĂšre, amener un appel dâair frais sur le PAF.
Mais revenons au cinĂ©ma : il y a bien sĂ»r quelques exceptions qui confirment la rĂšgle avec des cinĂ©astes noirs tels que Raoul Peck (Lumumba), Alain Gomis (LâAfrance, Andalucia), Jean-Claude Flamand-Barny (NegâMarron) qui ont su imposer des Ćuvres remarquĂ©es. Ces cinĂ©astes, aussi talentueux soient-ils, restent cependant cantonnĂ©s dans un registre confidentiel, celui de lâunderground, les plus chanceux accĂ©dant seulement au circuit des festivals. La chose qui me semble la plus abjecte face Ă ces questionnements fondamentaux reste la rĂ©action gĂ©nĂ©rale qui ressasse perfidement que le cinĂ©ma français est celui qui aide le plus au monde la production de talentueux cinĂ©astes africains : Souleymane CissĂ©, Abderrahmane Sissako, Haroun Mahamat Saleh, Serge Coelo, Mama Keita, Idrissa Ouedraogo etc., des cinĂ©astes qui nâauraient pas pu faire des films tournĂ©s en Afrique sans la France. Mais cette aide financiĂšre (exotique) vers le Sud cache en fait un refus vĂ©ritablement nĂ©vrotique de faire Ă©merger ici des cinĂ©astes noirs, nĂ©s ou ayant grandi en France. Si beaucoup dâacteurs francophones ont dĂ©cidĂ© de tenter leur chance en AmĂ©rique par dĂ©faut de sollicitation â Jimmy Jean Louis (Heroes), Isaac de BankolĂ© (Limits of Control), Djimon Hounsou (Blood Diamonds), Hubert KoundĂ© (The Constant Gardener) â pourquoi ne pourrait-on pas voir plus de cinĂ©astes noirs français rĂ©aliser de longs mĂ©trages indĂ©pendants ici ? Ce qui pourrait rĂ©vĂ©ler de nouveaux comĂ©diens noirs, dans le sillon des cinĂ©astes beurs depuis les annĂ©es 80 ? Alors quâest-ce qui bloque ?
Les festivals de cinĂ©ma urbain pullulent en France, et de nombreux court-mĂ©tragistes talentueux tapent dĂ©sormais Ă la porte du long mĂ©trage. Alors bien sĂ»r il y a eu le succĂšs phĂ©nomĂ©nal de la comĂ©die populaire PremiĂšre Ă©toile en 2009, premier long mĂ©trage rĂ©alisĂ© par Lucien Jean Baptiste, qui a su attirer un large public avec un budget indĂ©pendant. Ce carton inattendu au Box-office peut inciter Ă lâavenir les producteurs et les chaĂźnes Ă dĂ©velopper des comĂ©dies commerciales avec des acteurs noirs Ă lâĂ©cran, voire mĂȘme filmer des familles noires au complet, tout comme le fait Tyler Perry aux USA. (A noter tout de mĂȘme que le couple de PremiĂšre Ă©toile est « devenu » mixte pour pouvoir ĂȘtre financĂ©âŠ)
Si tous les genres mĂ©ritent dâexister au cinĂ©ma, il est symptomatique dâobserver que les noirs du cinĂ©ma français sont souvent acceptĂ©s principalement dans des comĂ©dies (parfois lourdingues) : Black Mic Mac, Black Mic Mac 2, Antilles sur scĂšne. Les Pascal LĂ©gitimus, Eric Blanc, Omar, Firmine Richard, Edouard Montoute perpĂ©tuent trop souvent une vision exclusivement comique du noir chaleureux donc frĂ©quentable. La faute Ă qui ? Certainement pas Ă ceux qui aimeraient sĂ»rement changer de registres. Les rĂŽles tragiques Ă©tant rarement proposĂ©s Ă ces acteurs pourtant talentueux. Les comĂ©diens (et le public !) subissent donc une gĂ©nĂ©ration de cinĂ©astes dĂ©connectĂ©s, qui ne connaissent pas ces communautĂ©s, les caricaturent, ne les frĂ©quentent pas. Du coup les personnages noirs y sont trop souvent filmĂ©s de loin comme des archĂ©types et non comme des personnages complexes. Les comĂ©diens afro-amĂ©ricains sont montĂ©s en puissance grĂące aux cinĂ©astes noirs prĂ©citĂ©s. Les comĂ©diens noirs de France peuvent difficilement sâimposer dans lâHistoire du cinĂ©ma français parce quâon ne leur Ă©crit pas de rĂŽles assez significatifs. Qui pourraient ĂȘtre les mieux placĂ©s pour cela, si ce nâest des cinĂ©astes noirs, dĂ©sireux dâen dĂ©coudre et surtout de filmer autrement une population stigmatisĂ©e ?
Attention ! Lâenjeu nâest pas de dĂ©fendre un cinĂ©ma communautaire, nây dâinstaller des quotas ethniques dans le cinĂ©ma français. Nous pouvons tout de mĂȘme observer que le cinĂ©ma amĂ©ricain a Ă©tĂ© sensibilisĂ© dĂšs les annĂ©es 60 Ă lâaffirmative action qui a permis Ă de nombreux talents dâobtenir des bourses dâĂ©tudes et des fonds pour la production de leurs films, Spike Lee en premiĂšre ligne. LâidĂ©e nâest pas de dĂ©fendre un cinĂ©ma « ethnique », ni mĂ©tissĂ© de force, mais il faut redire que de nombreux cinĂ©astes noirs (et autres) nâont pas pu monter des financements parce quâil y avait trop de Noirs dans les rĂŽles principaux et que « le public français ne pourrait pas sâidentifier facilement Ă ces personnes » selon les dires des professionnels de la profession. Pourtant Denzel Washington, Woopi Goldberg ou Will Smith attirent massivement le public français, ces acteurs noirs ont le droit de jouer Ă Hollywood des rĂŽles qui pourraient ĂȘtre tenus par Robert De Niro, Barbara Streisand ou Robin Williams.
Un rĂ©alisateur noir, blanc ou maghrĂ©bin ne devrait pas restreindre son Ă©criture, ni sâautocensurer en refusant de filmer certaines personnes, ou de quantifier certaines minoritĂ©s dans ses films. Un rĂ©alisateur devrait ĂȘtre libre de filmer des acteurs quelque soit leurs origines, sans se soucier de lâimpact symbolique ou politique de ses choix ou non-choix. Tant quâun cinĂ©aste ne pourra pas choisir librement tels types de personnages pour ses rĂŽles principaux, en leur donnant lâhumanitĂ© et la complexitĂ© quâil dĂ©sire lui et non pas les financeurs, et bien nous pourrons affirmer, et je lâaffirme, que le cinĂ©ma français restera raciste, hypocrite et communautaire, car il refuse de filmer des acteurs noirs comme tout autre acteur dâorigine caucasienne. Et dâailleurs, combien de rĂ©alisateurs originaires de banlieue (toutes ethnies confondues) accĂšdent Ă la rĂ©alisation de longs mĂ©trages sur les 250 films produits chaque annĂ©e en France ? Lorsquâune seule classe (bourgeoise et blanche) filme le peuple, il est logique quâelle soit en dĂ©calage avec le rĂ©el. Le cinĂ©ma français doit donc laisser la place Ă une plus forte diversitĂ© sociale. Le multiculturalisme des banlieues ouvriĂšres est une particularitĂ© française qui nous distingue des AmĂ©ricains (dont les traces de lâesclavage ont sĂ©parĂ© les communautĂ©s).
Dans ce contexte rĂ©trograde, une bouffĂ©e dâair pur rĂ©gĂ©nĂšre la crĂ©ation. Un film ovni, Donoma (2010), fait Ă lâarrachĂ© par Djinn CarrĂ©nard, jeune rĂ©alisateur dâorigine HaĂŻtienne, explose tous les carcans du systĂšme français. Il vient de rĂ©aliser son premier long mĂ©trage avec rien, aucun technicien, pas de subvention, une camĂ©ra lĂ©gĂšre et des acteurs bĂ©nĂ©voles portĂ©s par la grĂące des grands exploits. Ce film nâest ni un film social, ni un film communautaire, ni un film militant, ni un film du mĂ©tissage. Et câest pour cela que câest un film important. Si les personnages sont jouĂ©s par des gens dâorigines diverses qui se confrontent, on sâen fout complĂštement, on sâidentifie Ă Dama, Analia, Dacio ou Salma car ils portent en eux des thĂ©matiques et des enjeux existentiels et universels : Ă savoir pourquoi aime-ton ? Comment aime-t-on au delĂ des diffĂ©rences sociales, religieuses ou ethniques ? Donoma est un film libre, inspirĂ©, drĂŽle et irrĂ©vĂ©rencieux. Ăa parle cru, ça parle cash, ça bafouille, ça bredouille, ça insulte, ça dĂ©sire sĂ©vĂšre. Sensuel, corporel, bavard, intello, vulgaire, aĂ©rien. Les contraires sâattirent comme des aimants. Difficile de mettre ce film poĂ©tique dans une case particuliĂšre. Donoma est un film multiple, complexe, Ă la maniĂšre de ceux de John Cassavetes, il capte lâair du temps et une gĂ©nĂ©ration rarement filmĂ©e en France aussi intimement, un film qui a dĂ©passĂ© la question raciale depuis le prĂ©au et qui vit avec inquiĂ©tude les tourments et les prĂ©caritĂ©s de son Ă©poque.
Comme Ă lâhabitude de le dire le rĂ©alisateur Djinn CarrĂ©nard : le portrait robot du rĂ©alisateur français moyen de long mĂ©trage est un homme blanc, parisien « intramuros », dâun milieu aisĂ© et connectĂ© au rĂ©seau depuis 10 ans. Faire du cinĂ©ma comme Donoma, Ă lâarrache, sans demander lâautorisation au milieu, avec ses tripes, câest un pied de nez au scepticisme et au dĂ©sespoir ambiants, un formidable encouragement pour les futurs rĂ©alisateurs qui nâappartiennent pas au sĂ©rail et qui souhaitent sâexprimer librement. CarrĂ©nard nâa pas fait dâĂ©cole de cinĂ©ma, pas voulu attendre patiemment de faire des films en pellicule avec des producteurs dans la place ; il sâest formĂ© sur le tas avec des films institutionnels, des courts mĂ©trages fauchĂ©s et des clips de rap. Câest avec une insouciance, une rage et une Ă©nergie dĂ©cuplĂ©es quâil sâest lancĂ© avec son Ă©quipe dans un nouveau genre de films français : Le cinĂ©ma GuĂ©rilla.
La presse enthousiaste lâacclame, Ă©tonnĂ©e (Elle, Variety, Les Cahiers du cinĂ©ma, Les Inrocks), il a Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ© Ă lâACID Ă Cannes et a crĂ©Ă© aujourdâhui un vĂ©ritable buzz sur le net.
Grùce aux nombreuses caméras et appareils photo HD, des murs vont enfin tomber, de nouveaux cinéastes vont émerger de nulle part, en totale indépendance.
La dĂ©mocratisation de la crĂ©ation va enfin bousculer les hiĂ©rarchies et la reproduction sociale. Reste Ă savoir si lâindustrie laissera des places Ă ces outsidersâŠ
En tout cas, avec Donoma, nous avons enfin notre film-clĂ©, un film gĂ©nĂ©rationnel qui va en amener dâautres.
Le message est clair : Just Do It !
Edit : Cet article provient du blog http://lesensdesimages.blogvie.com/ et a été écrit par Pascal Tessaud. Nous le remercions et vous invitons tous à consulter sa plateforme.